Passer dans les corps des arbres

Hybridations végétales autour de l’œuvre de Monique Wittig

Onze artistes féministes et queer exposeront leurs propositions plastiques et/ou performatives inspirées de Wittig et du végétal

Exposition Samedi 16 septembre › Lundi 16 octobre 2023
Exposition Samedi 16 septembre › Lundi 16 octobre 2023

Passer dans les corps des arbres

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© Les Jaseuses

Pour #Wittig2023, année de célébration de l’écrivaine, théoricienne et militante lesbienne Monique Wittig, Isaline Dupond Jacquemart, Emma Dos Santos, Claire Pollet et Caroline Dejoie présentent l’exposition Passer dans les corps des arbres. Hybridations végétales autour de l’œuvre de Monique Wittig.

Onze artistes féministes et queer exposeront leurs propositions plastiques et/ou performatives inspirées de Wittig et du végétal à la MPAA/Broussais 

Venez découvrir les œuvres de Rose-Mahé Cabel, Caroline Dejoie, Alice Diaz, Isaline Dupond Jacquemart, Lissania Elchire, Audrey Japaud Garcia, Camille Laforcenée, Luana La Rosa, Roxanne Maillet et Caroline Chauvelot, Peter Trelcat.


Un petit groupe de jaseuses (Caroline Dejoie, Emma Dos Santos, Isaline Dupond Jacquemart et Claire Pollet) imagine une exposition autour des œuvres de Monique Wittig. Onze artistes plasticien-nes et/ou performeureuses sont invité-es à explorer la thématique de l’hybridation végétale en relation avec l’œuvre littéraire de Monique Wittig. Le parcours de l’exposition mêle les propositions plastiques (illustration, sculpture, installation, œuvre sonore, vidéo, photographie) et des citations choisies mises en page par la graphiste Roxanne Maillet et l’illustratrice Caroline Chauvelot. Des « temps forts » avec des performances, des lectures et des ateliers viendront ponctuer l’exposition.

Dans le Brouillon pour un dictionnaire des amantes (1976), à l’entrée « OBI » l’hybridation entre humainE et végétalE est abordée à travers l’idée de passage :

OBI
[…] Elles disent qu’elles passent dans les corps des arbres au lieu des corps de leurs animales préférées parce que la vie végétale est lente.
Brouillon pour un dictionnaire des amantes
, p. 163

De nombreuses métamorphoses végétales traversent les textes de Monique Wittig. Elles traversent aussi nos corps de lecteurices (novices ou aguerri-es) et nos imaginaires queer et (éco)féministes. On pense à L’Opoponax (1964), plante mystérieuse qui accompagne le personnage principal dans un processus d’identification et de découverte de son lesbianisme ; aux Guérillères (1969), qui organisent leurs vies avec et dans la nature ; à la manière dont, dans Le Corps lesbien (1973), le paradigme végétal permet de repenser le rapport érotique à son corps et au corps de son amante. Ces rapprochements entre corps humain et végétal dessinent de nombreuses pistes que les artistes ont été invité-es à emprunter : la possibilité de se connecter voire de fusionner avec nos environnements ; la capacité d’expérimenter d’autres manières d’être au monde ; la faculté de repenser les frontières des corps et leurs contacts avec ce/celleux qui l’/es entoure/nt ; la réinvention d’imaginaires érotiques associant traditionnellement les femmes aux fleurs via un retournement parodique ; la mise en lumière de l’enfermement des corps aliénés dans des états végétatifs ; la réhabilitation d’identités dites monstrueuses ; l’affirmation d’une lutte commune contre l’exploitation de la nature et l’oppression systémique des minorités de genre et sexuelles. Autant d’axes qui permettent de penser une exposition où le texte wittigien puisse se ramifier pour donner naissance à un réseau d’œuvres déployant les significations du thème de l’hybridation végétale.

PASSER (DANS)

TRANSFORMATION
Dès l’âge d’or […], elles pouvaient passer dans leurs corps mutuellement. […] Elles ont appelé ça des métamorphoses, des transformations, des mutations, des passages. Quand le processus était réussi on l’appelait simplement un passage.
Brouillon pour un dictionnaire des amantes
, p.206

Comment penser la notion de passage dans sa dimension transformatrice ? Comment cartographier les voyages d’un règne (végétal, humain, animal, minéral…) à un autre ? Quels espaces et temporalités ces passages ouvrent-ils ? Le passage entendu comme transformation résonne avec la notion de rite de passage, dont on ressort changé-e, initié-e. Peut-on envisager des rites de passage sans commencement ni fin, offrant la possibilité d’une identité mouvante et en devenir constant, inspirés des rythmes et cycles de la nature ? La lecture des textes de Wittig peut elle être elle-même perçue comme un outil de transformation ?

LES CORPS

Des spores sortent de ton épiderme. Tes pores les produisent par milliers, j/e regarde les éclatements menus, j/e vois comment les spores descendent au bout de filaments pileux sans se détacher d’eux, les tiges poussent, les spores se développent et s’arrondissent […].
Le Corps lesbien
, p.24

Quels sont ces corps traversés, traversants, dont les contours sont poreux, et qui suggèrent une identité mouvante, à la recherche de l’hybridation avec un-e autre, humain-e ou non humain-e ? Comment représenter et ressentir ces corporéités nouvelles, définies par leur absence de frontières avec les autres êtres ? Que permet l’identification à ces monstres-ses, ces mutant-es tordu-es, ces cyborgs queer prolongé-es par des éléments végétaux ? Monique Wittig envisage le langage comme un corps, une matière palatable2, à travailler afin de le (re)signifier. Comment penser l’entrelacement du travail wittigien sur le corps du texte, le corps lesbien, le corps de la nature ? En lien avec son caractère transdisciplinaire et multi-médial, l’exposition propose une expérience multi-sensorielle.

DES ARBRES

Un arbre m/e pousse dans le corps. Il remue ses branches avec une violence et une douceur extrême.
Le Corps Lesbien
, p.109

Si nous avons choisi d’axer cette exposition sur les métamorphoses végétales, les personnages de Monique Wittig passent, en réalité, dans toutes sortes de corps : animaux et humains notamment. En dehors des arbres, les textes sont traversés par de nombreuses listes de noms de fleurs, herbes, racines, essences, fruits, épices, etc. Le végétal est présent chez Wittig sous toutes ses formes, envisagé comme lieu de vie idéal renvoyant aux imaginaires de l’utopie (dans Les Guérillères ou le Brouillon) ; matière première transformée en onguents, parfums, drogues utilisées dans divers rituels (dans Les Guérillères et le Brouillon) ; être personnifié (dans L’Opoponax) ; corps transformés dans un jeu érotique (dans Le Corps lesbien) ; ou encore métaphore obscure, où les corps-fleurs sont « végétatifs », inertes, emprisonnés dans un « jardin des supplices3 », univers carcéral parodique du jardin d’Eden (dans « Le Jardin », Paris-la-politique). Comment s’inspirer de l’herbier polysémique4 de Wittig pour déployer nos propres expériences corporelles ? Et comment comprendre les relations qui unissent les végétaux entre elleux ? Peut-on repenser les rapports entre les êtres en termes de réseaux de racines, de sève et de branches, de rhizomes ? Quels modes de sociabilité les arbres ou les champignons nous enseignent-iels ?