Les Hommes
Compagnie Tenter de Vivre
Le théâtre peut-il vaincre l’angoisse ? C’est l’espoir de Résistantes en attente de la déportation.
« Des femmes qui sont enfermées dans un fort en attendant d'être déportées, des femmes qui inventent mille ruses pour passer le temps et tricher avec le destin comme si on pouvait l'esquiver, qui font des efforts surhumains pour ne pas penser à la menace de mort qui pèse sur elles, sur leurs maris ou leurs frères... »
C’est ainsi que Charlotte Delbo, par l’intermédiaire du personnage de Cécile, décrit le quotidien des Résistantes au fort de Romainville où elle-même a été enfermée un an avant d’être déportée.
Dans l’enfermement du fort, l’Histoire collective et les histoires individuelles continuent de s’écrire. Des liens se tissent entre des Résistantes aux parcours différents. Cécile, Claire, Françoise, Gina, Madeleine, Mounette, Reine, Renée, Yvonne. À travers cette galerie de personnages féminins, c’est toute la palette des relations et des liens qui peuvent se tisser entre des femmes qui se déploie.
Le lieu clos de la prison ne laisse aucune échappatoire. Le spectateur, la spectatrice, sait ce qui va advenir. Iel l’attend avec un peu d’anxiété, mais surtout avec la vague lassitude peut-être d’un devoir à accomplir : il faut écouter, il faut savoir ces choses-là, c’est important, il faut se souvenir. Les personnages le sentent, elles aussi, sans oser le dire. Mais ce n’est pas de cela que parle le spectacle.
Peu à peu l’espace de l’inhospitalier, du désespoir, se meut en expérience du vivant et de la communauté. L’éclatement devient sororité, l’ennui création, et l’Histoire théâtre. Les corps et les voix vibrent, et le chœur se forme.
Le parapluie d’Yvonne, des papiers de chocolat pour faire un miroir, l’amour de Madeleine pour son frère, le pouvoir de sublimation du théâtre : c’est de cela que parle le spectacle.
Cette pièce se présente donc comme une réflexion sur le pouvoir du théâtre. Suffit-il à détourner de la réalité ? Combien de temps ce sursis peut-il durer ? Le théâtre a-t-il la capacité de nous permettre de tourner le dos au réel traumatisant, et a fortiori, en a-t-il le droit ?
La réponse est moins univoque que ce qu’elle semble : si monter cette pièce permet bien aux personnages d’échapper, pour un temps, à la réalité de leur condition, la fin du spectacle marque aussi la fin de l’illusion. Que nous reste-t-il ensuite ?
Le personnage de Françoise, avatar de l’autrice, joue dès lors le rôle du chœur tragique, toujours sur ses gardes, toujours inquiète. Elle prévient le spectateur et la spectatrice de l’inévitable échec de l’entreprise, tout en affirmant, d’égale importance, sa nécessité.
Interprètes :
Cécile : Juliet Evrard,
Claire : Marie Friess,
Françoise : Ariane Issartel,
Gina : Noé Rozenblat,
Madeleine : Pauline Crépin ,
Mounette : Louise Giron de Faucher,
Reine : Ondine Policand,
Renée : Juliette Beau,
Yvonne : Marianne Guérin
Mise en scène : Marie Friess et Noé Rozenblat
Costumes : Julie Keyser
Habillage : Jule Coulard
Maquillage : Mathilde Doppler-Bretin
La compagnie a vu le jour à l’occasion du projet de monter la pièce Les Hommes de Charlotte Delbo. Dans le texte, les hommes sont absents ou presque, et tel a aussi été le cas pour ce projet, que ce soit sur scène ou à la technique. Amatrices, professionnelles ou en voie de professionnalisation, leur troupe est composée d’une variété de profils. Dans le prolongement d'un travail de recherche sur l’œuvre de Charlotte Delbo, Marie Friess a initié le projet et a été rejointe par Noé Rozenblat à la mise en scène. La troupe s’est ensuite constituée par affinités et connaissances. Rassemblées par leur goût pour les arts au sens large et pour le théâtre en particulier, c’est aussi en tant que féministes qu'elles ont monté cette pièce. Ce projet est une aventure et une expérience de sororité, qui fait écho au destin des compagnes de Delbo.